Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, la situation humanitaire ne cesse de se dégrader provoquant un élan de solidarité en Europe. Cette guerre aux portes de l’Union européenne fait ressurgir des questions fondamentales sur notre sécurité, celle des personnes mais aussi celle des biens. L’approvisionnement énergétique est au cœur du débat en raison de la dépendance des pays européens à l’égard des pays tiers et de la hausse actuelle des prix. Notre réflexion sur la manière de consolider la stratégie française énergie-climat repose sur cinq piliers : sobriété énergétique, décarbonation du mix, sécurité de nos approvisionnements, renforcement de la souveraineté énergétique et développement territorial.
L’indépendance énergétique est au cœur de nos préoccupations et de nos choix stratégiques. La question que j’ai pu lire parfois serait la suivante : réduire notre dépendance extérieure au gaz fossile implique-t-il de diminuer drastiquement la place du gaz dans notre mix énergétique ? La réponse est non.
La réponse est d’abord non parce que le premier combat c’est celui de réduire les consommations à usage ou confort équivalent : isoler davantage, recourir à des chaudières haute performance ou à des pompes à chaleur hybrides, rouler avec des véhicules moins consommateurs de carburant, utiliser des process industriels moins énergivores. C’est un chantier majeur qui doit être amplifié et qui, à lui seul permettrait de se passer rapidement du gaz russe pour un pays comme la France.
Clef de voûte du système énergétique français, le gaz représente environ 20 % de la consommation finale d’énergie de notre pays. Nous consommons tous du gaz, souvent sans le savoir parce que nous sommes clients d’un immeuble chauffé au gaz ou consommateurs d’électricité produite à partir de gaz. Parmi ces importations, le gaz russe représente environ 17 %, soit l’équivalent en énergie de 8 réacteurs de type EPR. Il paraît alors illusoire de croire que la production et les réseaux électriques, déjà sous tension sous l’effet de l’électrification massive des usages, pourraient remplacer l’énergie gaz. Dans tous les scénarii, le gaz, aisément stockable, conservera une place dans le futur mix énergétique, dans des volumes certes moindre compte tenu de l’indispensable maîtrise des consommations, et à condition qu’il soit plus vert et produit localement. Des usages variés et nouveaux assurent sa pérennité dans le mix en remplacement du diesel pour les transports lourds ou comme alternative au fioul. Réduire notre dépendance au gaz fossile importé représente donc un immense défi mais il est à portée de main grâce au développement des gaz verts.
La production en circuits courts de gaz verts permettrait de transformer notre facture gazière extérieure – en moyenne une dizaine de milliards d’euros par an – en investissements industriels structurants pour nos territoires. Le biométhane, première génération de gaz renouvelable, répond directement à cet objectif : produire localement une énergie durable et neutre en carbone, développer des emplois pérennes, estimés à 50 000 à l’horizon 2030 avant la crise actuelle, garantir une fiabilité des approvisionnements et décarboner rapidement nos usages résidentiels et industriels. La dynamique existe comme le prouvent les 400 sites de production de biométhane en fonctionnement en France et le millier de projets en cours de développement.
Nous pouvons agir à tous les niveaux pour que les déchets organiques deviennent une source d’énergie, d’indépendance et de transition écologique. En premier lieu, le monde agricole est particulièrement en soutien à la filière de la méthanisation. Ce biométhane permet de valoriser les résidus de la production agricole en énergie renouvelable et en engrais naturel, et en même temps d’assurer un complément de revenu substantiel et stable aux exploitants, dans un contexte de prix des produits agricoles très volatils. En Île-de-France, ce sont déjà 40 sites de production en fonctionnement dans cinq départements, dont près de 80 % en lien avec le monde agricole.
À l’échelle de l’Île-de-France, les perspectives sont importantes, notamment dans les transports. D’abord, Île-de-France Mobilités a annoncé que 75 % des bus circuleront en 2029 au BioGNV. De même, les bennes à ordures ménagères de la Ville de Paris roulent déjà quasi-exclusivement au BioGNV et nous travaillons actuellement avec les acteurs portuaires pour verdir la flotte des bateaux sur la Seine avec une solution combinant électricité et gaz.
Il faut agir maintenant, afin de saisir l’opportunité de l’obligation de tri à la source des biodéchets en 2024 pour tous les producteurs, particuliers compris. Développer une collecte séparée à l’échelle de la Métropole du Grand Paris, à destination des méthaniseurs, c’est faire de ces centaines de milliers de tonnes de déchets, principalement constitués d’eau et valorisés aujourd’hui essentiellement dans des incinérateurs, une ressource qui pourrait représenter près de 10% de la production de gaz renouvelable francilien. De nombreux projets de valorisation de ces biodéchets sont avancés dans la région, comme l’installation sur le port de Gennevilliers d’une unité de fabrication de gaz vert valorisant 50 000 tonnes de biodéchets chaque année. Ce projet est porté par l’agence métropolitaine des déchets le Syctom, associé au syndicat qui regroupe 188 communes pour la compétence gaz en Île-de-France, le Sigeif.
Méthanisation, méthanation, production d’hydrogène vert… des solutions adaptées aux spécificités de chaque territoire existent déjà ! Les gestionnaires de réseaux gaziers déploient d’intenses efforts afin d’adapter les infrastructures existantes. L’Île-de-France compte par exemple déjà deux rebours en Seine-et-Marne, qui permettent à des territoires qui produisent plus de biométhane qu’ils n’en consomment, d’injecter ce supplément dans le réseau de transport pour alimenter des zones de consommation voisines.
La crise actuelle, qui va contribuer à rendre les tensions sur les prix de toutes les énergies durables, doit nous permettre d’avoir un nouveau regard sur le gaz : historiquement fossile et importé, il devient de plus en plus renouvelable et local. Notre perception évolue, il faut accélérer ; il est nécessaire d’acculturer tous les citoyens, de libérer les initiatives locales et de mettre en œuvre plus rapidement les solutions existantes pour atteindre l’objectif, ambitieux mais réaliste, de 100 % de gaz renouvelable made in France.
Avec le syndicat des énergies renouvelables, nous appelons ce jeudi 17 mars 2022 à la mise en œuvre immédiate de mesures volontaristes pour accélérer l’essor des gaz renouvelables.

Bertrand de Singly
Directeur Clients Territoires Île-de-France chez GRDF
